Le Premier Président et le Procureur Général près la Cour de cassation sont des magistrats de qualité et ont des personnalités estimables.
Mais de mon point de vue ils ne sont pas des chefs. Les chefs que l'institution judiciaire devrait avoir pour sortir de la grisaille et des gémissements. Sans doute pourrait-on m'objecter qu'on ne trouverait pas forcément de meilleurs qu'eux ?
D'abord je n'en suis pas sûr tant les choix dans le monde de la Justice me sont toujours apparus, pour le plus haut niveau, plus comme la consécration d'un clientélisme noble que l'expression d'une supériorité indiscutée. Ensuite, miraculeusement, notre système dégagerait-il les meilleurs du corps pour être à son sommet que rien ne garantirait qu'ils auraient cette vertu fondamentale d'être des chefs, d'avoir cette aptitude à la fois humaine et technique à diriger, à inspirer, à donner l'exemple, à gouverner la communauté judiciaire avec élan et enthousiasme.
D'aucuns me reprocheront cette idée répétitive qu'il ne peut y avoir de progrès et de considération à l'égard d'une institution (sans le bon fonctionnement de laquelle la démocratie serait orpheline) si ses chefs n'acceptent pas de se désaccorder d'un état d'esprit général pessimiste. Et d'un syndicalisme judiciaire qui a totalement oublié de célébrer la fierté d'exercer ce grand métier.
Dans leur traditionnelle audience solennelle, le premier président, Christophe Soulard, et le procureur général, Rémy Heitz, se sont seulement alarmés de "la justice en France qui va dans le mur". Ils ont raconté une justice au bord du burn-out généralisé, selon le Monde, et imploré le gouvernement de se doter d'un budget qui lui permette d'honorer les embauches prévues en 2025.
Loin de moi l'envie de minimiser ces difficultés budgétaires mais il me semble que ce propos déprimant tenu par les deux plus hautes autorités judiciaires n'est absolument pas de nature à revigorer le moral d'une justice qui se plaît au dolorisme. Pire, il aura pour effet de détourner de cet indépassable métier toutes les jeunes énergies, intelligences et sensibilités qui pourraient être tentées de le rejoindre.
Ce double discours a constitué les responsables de la Cour de cassation moins comme des chefs que comme des gestionnaires, plus pour des déçus et des aigris que pour l'incarnation d'une hiérarchie qui, si elle réclamait davantage de moyens, était cependant profondément fière de ce qu'elle apportait à la société et à la France.
Il y avait d'autant plus un paradoxe, dans ce lamento à deux, qu'il était proféré devant un nouveau garde des Sceaux dont le moins qu'on puisse dire est qu'il a appréhendé sa mission avec une lucidité et une espérance qui auraient dû au moins conduire cette double autorité judiciaire à s'appuyer sur cette résolution ministérielle. Non seulement pour combler les manques mais pour préparer le futur et dessiner de la magistrature un portrait plus exaltant.
La Justice ne peut pas se passer de chefs. Le rapport structurel qu'elle entretient avec la place Vendôme ne doit pas la dispenser d'être pour elle-même son porte-voix, de favoriser son illustration et de démontrer son utilité et sa grandeur.
Il est encore temps, pour Christophe Soulard et Rémy Heitz, de rattraper la fierté perdue !
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