Un documentaire passionnant, le 29 juillet : "Joe Dassin : le roman de sa vie" de Pascal Forneri sur France 3 avec les interventions, pour compléter les propos du chanteur, de Maryse sa première épouse, de Jacques Ourevitch, de Pierre Delanoë et de Claude Lemesle.
Et ce soir d'un été français, tout est revenu, tout m'est revenu.
Réglons une fois pour toutes le faux problème d'un intérêt, d'une curiosité qui ne devraient pas s'attacher à cet artiste parce que ce serait puéril, plus de mon âge. Joe Dassin (JD) a répondu par avance à cette critique condescendante quand une femme lui a demandé pourquoi, avec son bagage intellectuel, les paroles de ses chansons n'avaient pas un meilleur niveau. Sans être vexé le moins du monde, il a répliqué que pour lui l'accessibilité, la simplicité d'une chanson étaient prioritaires, qu'il détestait "l'obscurantisme" et que ce qu'il chantait correspondait exactement à ses désirs d'artiste. Je reprends pour mon compte cette réflexion.
Cette conception de son art explique aussi pourquoi, avec une modestie lucide, JD a toujours refusé, quoi qu'en pense le citoyen qu'il était, de s'engager dans le domaine politique en profitant de l'aura de son succès. Cette vision aurait dû servir d'exemple à beaucoup enivrés par une influence qu'ils ne méritaient pas d'avoir.
J'ai bien conscience que mon envie irrésistible de regarder ce documentaire tenait non seulement à mon goût des mélodies composées par JD et à l'allant de ses chansons, mais davantage à une nostalgie qui faisait ressurgir les moments de grâce, de bonheur, toute une part de jeunesse et d'existence accordée à ces oeuvres à la fois sans prétention mais pourtant décisives pour l'humeur et la sensibilité.
JD était un artiste extrêmement intelligent - ce n'est pas fréquent - qui initialement ne voulait pas devenir chanteur. Cette intelligence a continué à se manifester dans la manière précise, rigoureuse, impeccable dont il a organisé sa vie de chanteur puis de vedette. Rien n'était laissé au hasard et comme il n'avait pas de dons naturels, par exemple pour la danse et la scène, il a travaillé plus que tout autre pour devenir remarquable dans ces domaines.
Le destin de JD ouvre un large champ pour la réflexion aussi bien artistique qu'humaine.
D'abord cette constante qu'on retrouve dans le parcours de pratiquement toutes les stars, quel qu'ait été leur genre. Leur carrière a décollé parce qu'au moment où elles ne doutaient pas forcément mais avaient du mal à franchir le mur qui les séparait de la reconnaissance et de la célébrité, elles ont rencontré une personnalité qui a su les orienter, les éclairer sur leur véritable nature. Pour JD, ce fut Jacques Plait, producteur et directeur artistique. Les Beatles ont eu Brian Epstein et on peut dire qu'avec Jacques Plait, JD a compris quel artiste il devait être.
Ensuite le rôle capital, pour le meilleur ou pour le pire, des femmes dans la vie d'une célébrité ou d'un groupe mythique. La première épouse de JD, Maryse Grimaldi, qu'il rencontra en 1963, épousa en 1966 et dont il divorça en 1977, sut à la fois l'aimer et le rassurer, le stabiliser sans l'étouffer, aider l'artiste et rendre longtemps heureux l'homme. Et ce n'était pas chose facile avec cet angoissé, passant d'instants dépressifs à des moments de vrai délire, avec cette psychologie et cet esprit critique toujours prompts à se dénigrer même au comble de la gloire du chanteur.
Pour le pire également. De même, pour en revenir aux Beatles, que la relation amoureuse et étouffante de John Lennon avec Yoko Ono constitua le premier grain de sable dans l'entente jusque-là exemplaire d'un quatuor indépassable, la rencontre de JD en 1976 avec une étudiante, Christine Delvaux, fut le début d'une dérive - alcool et surtout drogue - qui, malgré la naissance de deux enfants en 1978 et en 1980 (dont la garde lui fut confiée lors de la procédure de divorce toujours en instance à sa mort) ne fut sans doute pas sans incidence sur sa mort d'un infarctus, à Papeete en 1980, à l'âge de 42 ans.
Cette seconde partie de son existence fut au moins partiellement un désastre dans lequel, il est vrai, il a mis du sien.
Hélas trop tard, juste avant sa mort, il avait commencé à se ressaisir et à reprendre possession de son existence, nous dit Claude Lemesle.
Il y a trop d'exemples, dans un certain nombre de destinées, de l'influence bienfaisante ou non des changements dans les histoires amoureuses pour que je sois obligé d'insister. On ne change pas d'amour sans conséquences. Une femme qu'on quitte, une femme qu'on rencontre, c'est souvent un monde qui s'efface, un autre qui naît et se développe dans une joie durable ou alors avec des ombres de plus en plus pesantes.
Le paradoxe est que JD a connu cette métamorphose de son être, le débordement de sa nature - malgré Maryse - à cause du formidable et incroyable succès de l'Eté indien, en 1975, qui est devenu le tube de l'été, ce dont le chanteur rêvait. L'afflux de gloire et d'argent en résultant a déséquilibré le cours d'une existence à peu près maîtrisée jusque-là. Christine Delvaux est arrivée dans cet entre-deux.
Pourtant, que de mélodies demeurées dans les têtes et les coeurs avant : les Champs-Elysées, Salut, Siffler sur la colline, À toi, L'Amérique, On s'est aimé comme on se quitte, Il était une fois nous deux, Dans les yeux d'Emilie, Et si tu n'existais pas, notamment...
On comprendra aisément pourquoi ce documentaire a suscité chez moi un triple sentiment.
Une admiration pour le talent du compositeur, de l'interprète et de l'artiste si merveilleusement à l'unisson avec les attentes populaires.
Une tristesse pour cette histoire humaine qui me touche parce qu'elle satisfait ma passion authentique et morbide pour les triomphes suivis de déclins, pour les sommets précédant les chutes. Ces violents contrastes sont souvent ce qui nourrit et sublime les grandes oeuvres de l'art universel.
Et ma conviction renforcée que Jean-Jacques Goldman a été et est une personnalité exceptionnelle, comme je l'ai toujours dit et écrit, parce qu'il a su résister à tous les poisons de la célébrité et tenir haut le défi d'une normalité battant en brèche les vulgarités et dérèglements quasiment fatals pour beaucoup de célébrités dépassées par elles-mêmes.
Les commentaires récents