Le féminisme militant n'a jamais eu ma dilection. D'autant plus qu'il est, en matière judiciaire, souvent ignorant. Il prétend par exemple que devant les cours d'assises, les accusés de viol sont faiblement condamnés. Ce qui, au regard de mon expérience d'avocat général, était déjà faux. Je suppose que ça l'est encore plus aujourd'hui avec les campagnes qui ont heureusement attiré l'attention sur la gravité de ces crimes, quelles que soient leurs modalités.
Mais il y a un féminisme qui, pour être engagé, est intelligent, met en évidence des problématiques et suscite des interrogations qui font réfléchir tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, sont conduits à se préoccuper des agissements dont les femmes sont victimes, agressions sexuelles ou viols. D'abord, évidemment, police et magistrature.
Catharine MacKinnon fait partie de ces éveilleurs d'esprit et de conscience (Le Monde). Les réponses qu'elle a faites, dans un entretien passionnant, sur les viols, la conception qu'elle en a et les limites de la position classique, m'ont particulièrement troublé. J'ai relevé la lucidité avec laquelle elle exposait et dénonçait, avec mesure et sans acrimonie, les pratiques judiciaires françaises. Je me suis senti naturellement impliqué dans ce débat, d'autant plus que j'ai dû reconnaître la pertinence de son argumentation.
Pour la résumer, elle considérait que pour les viols, en France, "on se focalisait davantage sur l'état d'esprit de la plaignante que sur le comportement de l'accusé".
Ce qui est parfaitement exact, je le confirme.
Combien de fois, lors des procès criminels, la cour, les magistrats, les jurés, les avocats, l'avocat général s'attachent en effet à examiner si la plaignante n'avait pas été consentante, un peu, beaucoup, totalement, dans la transgression grave qu'elle avait subie. Si à aucun moment elle n'avait laissé croire à l'homme en face d'elle qu'elle était prête à succomber, qu'au fond elle le désirait au point que ce dernier avait pu le penser.
Dans la pratique française, c'est l'attitude de la victime qui va être déterminante pour décider de la réalité du viol ou non. Sauf dans les rares cas où l'accusé ne pourra pas faire autre chose qu'avouer à cause de la violence qu'il a mise en oeuvre. Je comprends que cette inquisition, nécessaire à l'administration de la preuve, ait perturbé des sensibilités, des fragilités et que certaines victimes se soient senties offensées qu'on les estime, au moins un temps, presque coupables de ce qu'elles avaient enduré.
La psychologie, le comportement, les postures, éventuellement les mots de l'agresseur comptent peu par rapport à cette focalisation sur la plaignante. On ne les oublie pas mais ils viennent seulement s'ajouter à la démonstration initiale : était-elle consentante ou non.
Revenir à l'essentiel qui est l'agresseur, comme le souhaite Catharine MacKinnon, imposerait un changement radical qui probablement nous dispenserait des interminables et indécentes discussions sur l'apparence des plaignantes, leur naïveté, leur droit d'avoir voulu une relation jusque-là mais pas au-delà, leur qualité de femme facile ou non.
Il ne sera pas simple, si on accepte ce point de vue qui nous invite à modifier notre logiciel, d'oublier nos habitudes à la fois humaines et procédurales pour nous consacrer d'abord à l'homme, à son pouvoir, aux contraintes qu'il a exercées, à la domination qu'il a fait peser, à son implication capitale dans le crime.
Ce ne serait plus à elle d'établir, comme c'est pratiquement le cas, qu'elle n'était pas consentante mais à lui de démontrer qu'elle l'était. Ce serait une bienfaisante irruption, dans l'espace criminel, d'une présomption de sincérité et de vérité pour l'une et d'obligation pour l'autre. Le rapport de force ne serait plus le même. Violeur, l'homme l'est absolument.
La Justice y gagnerait sur tous les plans.
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