Avant la Coupe du monde, Kylian Mbappé (KM) était déjà un footballeur fabuleusement précoce et d'un talent infini mais sa manière de se comporter au PSG, certaines de ses déclarations, tel ou tel de ses combats pouvaient parfois laisser croire à un zeste de narcissisme, une touche de vanité au demeurant tellement admissibles pour une gloire si vite survenue.
Mais on se tait maintenant. Avec l'ensemble de l'équipe de France il est de retour dans le vestiaire après l'échauffement. Il va mettre sa tenue, enfiler son maillot avec le numéro 10. Dans quelques instants, ce sera l'hymne argentin, la Marseillaise et cette finale rêvée entre un immense pays de football, l'Argentine, avec le génie qui l'inspire et le sublime, Lionel Messi, et la France qui pour la seconde fois en quatre ans est aux portes d'un exploit unique.
KM, dans cette compétition au Qatar, avec une équipe de France privée de quelques éléments mais efficace et vaillante, a montré - tous les spécialistes s'accordent sur ce point - non seulement son aptitude exceptionnelle pour le foot mais son intelligence de jeu, sa capacité à mettre à la disposition de ses partenaires ses dons hors du commun. Comme quelqu'un l'a dit selon une heureuse formule, il ne "fait" pas la différence, il "est" la différence.
L'équipe de France est sortie du vestiaire. Toute concentrée et consciente de la gravité de l'enjeu. J'ai apprécié que le remarquable entraîneur argentin Lionel Scaloni ait martelé, pour ses joueurs et son pays que le foot fait délirer, que ce sport se devait d'être d'abord une fête. KM écoute l'hymne national, il le chante à sa manière, il est impatient, il a des fourmis dans les jambes, des ambitions et des élans pleins la tête.
Les quelques milliers de supporters français sont confiants. Ils savent que KM n'aime rien tant que ces épreuves de haut niveau. Les défis ne lui font jamais peur. Au contraire il les attend, il les espère, ils le stimulent ; c'est la banalité et le quotidien des matchs, avec le manque de complicité possible avec tel ou tel de ses partenaires, qui seraient seulement susceptibles, parfois, de le démobiliser un peu. Il a cette bonne fortune de n'avoir jamais été mauvais durant toute une rencontre. C'est une grâce.
Sa première mi-temps n'est pas bonne ; comme celle, d'ailleurs, de tous ses coéquipiers, à l'exception de Hugo Lloris, dernier rempart face aux vagues argentines dominatrices qui vont marquer tout de même par deux fois : un penalty et un but de Ángel Di María, splendidement amené. KM a eu quelques velléités, de rares fulgurances avortées, il a été bien tenu par son adversaire direct.
Dans le vestiaire, la fatigue, l'abattement. Il prend la parole avec élégance, il n'éprouve pas le besoin de jurons : il est trop intelligent pour s'imaginer qu'ils apportent quelque chose à l'énergie collective. Il se contente de souligner avec force qu'on est en train de disputer une finale et que pour l'instant on la perd parce qu'on ne la joue pas. Steve Mandanda prend la relève, enfin Didier Deschamps. Puis on revient sur le terrain.
Et KM va démontrer - ce qui est le propre des vrais leaders - qu'il s'est appliqué à lui aussi les injonctions qu'il a formulées pour les autres.
Au début, rien de changé. L'Argentine continue à dominer. En roue libre, comme en démonstration. Peut-être déjà un tantinet trop sûre d'elle ?
Mais au bout de 75 minutes, un penalty est sifflé pour la France et KM le transforme sans frémir. Tout de suite après, il égalise grâce à une magnifique reprise de volée, avec un geste parfait. Tout est relancé. Lors des prolongations, après une étouffante fin de match, quand Lionel Messi est parvenu à marquer malgré un arrêt de classe de Lloris, KM égalise à nouveau, un penalty encore : 3 partout.
L'épreuve des tirs au but représente la dramaturgie à son comble. Elle n'est pas une loterie puisqu'elle fait s'affronter un joueur et le goal adverse, que le premier doit profiter techniquement de sa proximité avec le but (onze mètres) et que le second fera étalage de toute sa classe s'il parvient à détourner le tir. KM avait été honteusement vilipendé parce qu'il avait échoué dans son tir au but lors du dernier championnat d'Europe contre la Suisse. On sait que le goal argentin, qui sera odieux par la suite, est remarquable dans cet exercice, qui n'est pas le fort de Lloris.
On commence. Le fiasco s'annonce. Emiliano Martinez sauve sa cage devant Kingsley Coman et Aurélien Tchouameni tire à côté du but.
Les Argentins ne manquent rien. Ils gagnent la Coupe du monde. Délire de joie. Désolation des Français.
Ne quittons plus KM des yeux et du coeur. Tentons de deviner ce qui le meurtrit. Avoir marqué trois buts, plus un tir au but et être pourtant éliminé, avoir cru en la victoire toute proche et être cependant vaincu, avoir presque touché le Graal sans pouvoir le saisir, avoir marqué le plus de buts durant cette Coupe et être toutefois affligé comme jamais !
Une mélancolie absolue donc, la détresse d'un combattant qui avait tout donné et se retrouve assis par terre sans même avoir le droit à sa tranquillité puisque "l'adulescent" (Valeurs actuelles) Macron se pique de le consoler en prenant toute la lumière, Narcisse qui se serait approprié le triomphe et qui par défaut instrumentalise la chute.
La grandeur de ce jeune homme de 24 ans, à ces instants terribles - ah si Kolo Muani n'avait pas raté la balle de match à la fin de la prolongation ! - et, plus tard, sur le balcon de l'hôtel Crillon, face à ces 50 000 personnes l'applaudissant sur la place de la Concorde, lui et ses partenaires, comme s'ils avaient conquis la Coupe alors qu'ils ont échoué, trop d'émotions pour lui qui ne parvient pas à sourire franchement. Il applaudit, certes mais sans conviction, son visage fait toujours peine à voir, on ne fera jamais de KM un vaincu heureux.
Il fallait bien qu'il pleurât une seule fois à Doha dans les bras de son père ! Il fallait - comme je le comprends - qu'il revînt vite s'entraîner au PSG. Il n'y avait que le foot et sa passion pour faire oublier les vulgarités argentines qui n'étaient au fond - bien plus qu'une riposte à son éloge du jeu européen - qu'un hommage éclatant mais pervers et jaloux à l'indépassable joueur, à l'exceptionnel artiste qu'était devenu KM. Le futur éclatant, ce sera forcément lui !
Je veux finir par où j'ai commencé. Avec cette Coupe du monde, KM, quoi qu'il se passe autour de lui, quels que soient le juridisme corseté dont on l'entoure et l'empathie filtrée qui le protège, est devenu bien plus que lui-même : il appartient dorénavant, si tôt, si jeune, à cette infime catégorie de Français défaits mais triomphants, très privilégiés mais aimés, citoyens d'honneur pour lesquels l'inconditionnalité est de mise.
Donc c'est le pays tout entier qui sera, à partir d'aujourd'hui, l'avocat de KM contre les salissures de toutes sortes.
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